« Une Église au souffle de l'Esprit »
Vatican II : quarante après !
Mise en perspective
Après quarante ans, peut encore parler du Concile Vatican II, sans faire figure d'ancien combattant ? Autre chose est d'en faire l'histoire, autre chose d'en faire la leçon. Au fond, les meilleures choses sont faites pour être oubliées. Le Concile Vatican II n'y échappe pas. Il faut s'entendre alors sur cet oubli. Ce qui est inévitablement oublié, dans un Concile comme dans toute réalité marquée par l'historicité et la temporalité, c'est « le moment » ou la réalité se passe. Il n'y a aucune machine à remonter le temps. Aucun intérêt donc à « statufier » le Concile, car les statues aussi meurent ! C'est pourquoi, le Concile Vatican II doit être considéré d'abord comme un événement et l'appréhender comme un événement implique et pose le problème d'une élaboration de critères herméneutiques adéquats à la compréhension de son déroulement et de sa signification . Considérer le Concile Vatican II comme événement requiert une attention particulière tant aux circonstances historico-culturelles qu'au contexte ecclésial de sa convocation et de son déroulement.
S'inscrivant dans la tradition phénoménologique, H. G. Gadamer considérait son herméneutique comme une réflexion sur ce qui advient chaque fois que l'être humain comprend quelque chose. L'objet de l'herméneutique est de promouvoir la compréhension de l'être humain, son auto-compréhension. Et s'inspirant de l'idée heideggérienne du rôle des jugements préalables dans le processus de compréhension, Gadamer insiste sur le fait que la compréhension des textes se nourrit toujours des compréhensions du lecteur, et de son intérêt à participer au sens du texte. Pour lui, le but ultime de la compréhension d'un texte pour le lecteur est de parvenir à un accord avec le texte ; et le but de la compréhension est décrit comme la fusion de deux horizons, c'est-à-dire celui du texte et celui du présent du lecteur . Voilà ce qu'il faut mettre en valeur dans la compréhension du Concile Vatican II. Comprendre un événement, comme un Concile, cela exige de comprendre les questions auxquelles l'événement répondait, et donc d'une certaine manière dépasser l'événement : en effet les mêmes questions sont susceptibles de différentes réponses. Comprendre un événement, cela exige aussi de le comprendre comme une réponse à des vraies interrogations, interrogations qui pourraient aussi être les nôtres aujourd'hui. Il apparaîtrait donc nécessaire d'élaborer un travail herméneutique de compréhension, dans cette fusion des horizons, afin d'éviter une réduction simpliste et unidimensionnelle du dynamisme polymorphe qui a caractérisé le Concile. Mais par cette dissertation, nous ne nous embarquerons pas dans les considérations ou à l'examen détaillé de l'herméneutique conciliaire. Nous voudrions simplement relever quelques points saillants, originaux de ce Concile pour le devenir de l'Église dans le monde de ce temps.
La convocation du Concile
Même si le détour par l'histoire nous met en distance de la question qui nous occupe trop immédiatement ; s'attacher à connaître et à reconstruire l'histoire est une manière de comprendre le présent et l'actualité de la problématique ou de la question. Pendant ces dernières années, des séances académiques, symposiums, conférences et colloques sur l'actualité du Concile Vatican II furent considérables, signe de la pertinence et de l'urgence de la réflexion de ce grand événement théologique du XX e siècle. L'enracinement intelligent dans le passé est le garant de la prospection de l'avenir ; le présent n'est que le point névralgique de cette dialectique. C'est là que naissent les prophètes. L'un des ces prophètes, est le Pape Jean XXII.
Avec cette espèce d'empirisme génial qui est le propre des grands esprits et des prophètes, Jean XXIII visa tout de suite très haut. Il est, aujourd'hui, difficile d'imaginer ce que fut l'annonce du Concile, un beau jour du 25 janvier 1959 . Un vieillard de 77 ans s'occupait de la jeunesse de l'Église. On pense à l'aventure de Sara qui a donné naissance à l'enfant de sa vieillesse. Et c'est cet enfant qui assurera l'avenir de la promesse. Évidemment, rien ne prédestinait ce Pape à un rôle théologique prophétique de première grandeur. Lui, l'humble fils de paysans de Bergame, n'avait pas été élu que comme « Pape de transition ». Mais dans les interstices de l'Histoire, l'Esprit souffle parfois très fort. C'est ainsi que le monde chrétien tout entier fut retourné par le « coup de grâce » du bon Pape. Après avoir participé à la messe au monastère bénédictin de Saint Paul-hors-les-Murs, le Pape Jean XXIII, annonçait aux cardinaux stupéfaits et ébahis, la convocation du Concile, en même temps que le Synode et la refonte du Code du Droite Canonique : « Nous prononçons devant vous, disait le Pape Jean XXIII, certes en tremblant un peu d'émotion, mais cependant avec une humble résolution, le nom et la proposition d'une double célébration : celle d'un Synode diocésain pour la ville et celle d'un Concile ocuménique pour l'Église universelle ».
Dans l'Encyclique « Ad Petri Cathedram » , publié le 29 juin 1959, le Pape Jean XXIII indiquait le but fondamental qu'il proposait au Concile : « Promouvoir le développement de la foi catholique et un salutaire renouvellement des mours du peuple chrétien, mettre au point la discipline ecclésiastique selon les besoins du temps ». Le Pape appelait donc à un « aggiornamento », et à une ouverture de l'Église au monde de notre temps. Avant tout émerge comme fait révélateur le langage. L'aggiornamento , lancé par le Pape Jean XXIII et repris par le Pape Paul VI, ce mot signe l'abandon décisif de la mentalité traditionaliste par laquelle il n'y a rien à reprendre dans l'Église. Cela ne signifie pas une rupture avec le passé, mais une exigence de remettre en relation la substance de la pensée humaine et le vécu chrétien dont l'Église est dépositaire. Une autre expression est celle « des signes des temps comme phénomène sociaux typiques d'une époque, dans lesquels le croyant discerne une action salutaire de Dieu ». Elle atteste aussi une orientation pastorale ni circonscrite, ni cléricale, mais étendue dans la confrontation culturelle et convaincue que l'histoire des hommes est-elle révélation. Le tournant décisif est aussi le fait que l'interprétation de l'Évangile se vérifie dans la rencontre avec la situation kérygmatique concrète et missionnaire de l'Église.
Le Concile devra offrir une vision renouvelée de l'Église . L'Église était donc appelée à une mise à jour, une certaine « Aufklärung », c'est-à-dire faire droit aux requêtes de l'esprit du temps. L'Église était appelée à ouvrir les fenêtres et a regardé en dehors d'elle-même : La lumière ne vient pas du dehors bien sûr, sa lumière est l'Évangile, mais la seule audace de regarder cet inquiétant dehors est déjà acte de s'éclairer. Évidemment, il ne s'agit certes pas de s'aligner tout de go sur le monde tel qu'il est et sur l'intelligence qu'il a de lui-même, et de relâcher si peu que ce soit la fidélité à Évangile. Il n'empêche que le monde doit être là, au cour de cette transmission du message, qu'il doit pouvoir comprendre ce qui fait l'objet de l'enseignement, de la prière et de l'action de l'Église, pouvoir aussi se rendre compte qu'il y a, entre lui-même et l'Évangile, une relation intrinsèque analogue, entre lui-même et l'Évangile à celle qui unit la question et la réponse. Si le monde se modifie, l'Église doit, elle aussi, prendre un nouveau visage, et cela précisément, afin de pouvoir annoncer le vieil Évangile, et non un autre Évangile. Ouverture aux problèmes et aux signes des temps : il ne s'agissait pas seulement de mieux comprendre le monde à la lumière de l'Évangile, mais aussi de mieux comprendre l'Évangile à la lumière de cette « prophétie étrangère » qui est le monde.
Le ton a été donné au terme de la majestueuse cérémonie d'ouverture du Concile Vatican II (11 octobre 1962), dans un discours solennel du Pape Jean XXIII, qui ne produisit pas dans l'immédiat l'impression qu'il méritait. Mais très vite on comprit que c'était la véritable charte du Concile : « Plus qu'un ordre du jour il définissait un esprit. Plus qu'un programme, il donnait une orientation ». Le Pape Jean XXIII donnait la priorité à l'orientation pastorale. Il disait en termes négatifs : « L'objet essentiel de ce Concile n'est donc pas une discussion sur tel ou tel article de la doctrine fondamentale de l'Église, discussion qui reprendrait largement l'enseignement des Pères et des théologiens anciens et modernes et qui est toujours supposé assez présent et familier aux esprits. Pour cela on n'avait pas besoin d'un Concile », et de façon positive, il définissait la méthode selon laquelle il convenait de mener les travaux : « Notre devoir n'est pas seulement de garder ce précieux trésor comme si nous n'avions souci que du passé, mais de nous consacrer, résolument et sans crainte à l'ouvre que réclame notre époque, poursuivant ainsi le chemin que l'Église parcourt depuis vingt siècles [.] L'esprit chrétien, catholique et apostolique, attend dans le monde entier un bon en avant vers une pénétration doctrinale et une formation des consciences qui corresponde plus parfaitement et plus fidèlement à la doctrine authentique, laquelle doit cependant être étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne. Autre est la substance de la doctrine antique contenue dans le dépôt de la foi, autre la formulation dont on la revêt, en se réglant, pour les formes et la proposition, sur les besoins d'un Magistère à caractère surtout pastoral » .
Brefs repères chronologiques
La phase préparatoire s'est ouverte le 5 juin. Dix Commissions, trois Secrétariats et la Commission Centrale sont convoqués le 14 novembre 1965. À partir de là les membres de ces organismes travailleront à l'élaboration de 73 schémas. Cette phase se clôt le 11 juin 1962.
Les quatre Sessions en résumé :
La première Session a duré du 11 octobre au 8 décembre 1962. Ont été examinés les Schémas sur la Révélation, la Liturgie, les Moyens de communication sociale, l'oecuménisme, l'Église (en partie). Les faits marquants de la première Session sont : la décision de l'assemblée de retarder de plusieurs jours les élections aux commissions à cause du refus d'accepter les listes préparées par la Curie, le message au monde qui préfigure la Constitution l'Église dans le monde de temps, le renvoi aux Commissions pour refonte complète, du Schéma sur les deux sources de la Révélation.
La deuxième Session a duré du 11 octobre au 4 décembre 1963. L'Assemblé a adopté les Schémas remaniés sur la Liturgie et les Moyens de communication Sociale ; elle a examiné les Schémas sur l'Église, la Charge pastorale des évêques et l'ocuménisme. Le moment fort de cette Session est représenté par les discussions sur la sacramentalité et la collégialité de l'épiscopat.
La troisième Session a duré du 14 septembre au 21 novembre 1964. Ont été adoptés les Schémas remaniés sur l'Église, sur l'ocuménisme et sur les Églises orientales. Ont été examinés les Schémas sur la Charge pastorale des évêques, la Liberté religieuse, les Religions non-chrétiennes, la Révélation, l'Apostolat des laïcs, les Prêtres, l'Éducation chrétienne, l'Église et le monde moderne, les Religieux. Des difficultés naissent à propos du chapitre concernant les Juifs dans la déclaration sur les Religions non chrétiennes, à propos de la Liberté religieuse, à propos de la note explicative communiquée par le Secrétariat général du Concile et représentant une annexe du Chapitre III du Schéma sur l'Église.
La quatrième Session a duré du 14 septembre au 8 décembre 1965. Ont été définitivement votés et acceptés les Schémas sur la Charge pastorale des évêques, la Vie et le ministères des prêtres, l'Apostolat des laïcs, l'Éducation chrétienne, les Missions, les Religieux, la Révélation divine, la Liberté religieuse, les Religions non chrétiennes et l'Église dans le monde de ce temps.
Les Documents conciliaires
I. Les quatre Constitutions
1. Constitution Sacrosanctum Concilium (sur la Sainte Liturgie) : scrutin solennel et promulgation le 4 décembre 1963.
2. Constitution dogmatique Lumen Gentium (sur l'Église) : scrutin solennel et promulgation le 21 novembre 1964.
3. Constitution dogmatique Dei Verbum (sur la Révélation) : scrutin solennel et promulgation le 18 novembre 1965
4. Constitution pastorale Gaudium et Spes (sur l'Église dans le monde de ce temps) : scrutin solennel et promulgation le 7 décembre 1965.
II. Les neufs décrets
1. Décret Inter mirifica (sur les Moyens de communication sociale) promulgué le 4 décembre 1963.
2. Décret Orientalium Ecclesiarum (sur les Églises orientales catholiques) promulgué le 21 novembre 1964.
3. Décret Unitatis redintegratio (sur l'Ocuménisme) promulgué le 21 novembre 1964.
4. Décret Christus Dominus (sur la Charge pastorale des évêques) promulgué le 28 octobre 1965.
5. Décret Perfectae caritatis (sur la Renouveau et l'adaptation de la vie religieuse) promulgué le 28 octobre 1965.
6. Décret Optatam totius (sur la Formation des prêtres) promulgué le 28 octobre 1965.
7. Décret Apostolicam Actuositatem (sur l'Apostolat des laïcs) promulgué le 18 novembre 1965.
8. Décret Ad Gentes (sur l'Activité missionnaire de l'Église) promulgué le 7 décembre 1965.
9. Décret Presbyterorum ordinis (sur la Vie et le ministère des prêtres) promulgué le 7 décembre 1965.
III. Les déclarations
1. La déclaration Gravissimum educationis momentum (sur l'Éducation chrétienne) promulguée le 28 octobre 1965.
2. La déclaration Nostra aetate (sur les rapports de l'Église avec les religions non chrétiennes) promulguée le 28 octobre 1965.
3. La déclaration Dignitatis humanae (sur la Liberté religieuse) promulguée le 7 décembre 1965.
Pourquoi revenir au Concile Vatican II ?
Le XX e siècle a vu s'opérer dans l'Église une profonde rénovation et une grande mutation. Certains ont dû croire à une révolution copernicienne. Le Concile Vatican II en est le symbole. Quarante après sa clôture, le 8 décembre 1965, que représente encore le Concile Vatican II pour le XXI e siècle commençant ? Pourquoi revenir encore à ce Concile ? Parce qu'il est assurément l'un des événements qui à marqué notre Église de ce temps. Il faut l'avouer, pour beaucoup de ses contemporains, le Concile Vatican II a représenté un événement spirituel d'une force à couper le souffle. À beaucoup Vatican II apparaissait comme un commencement absolument nouveau et comme le point de départ d'un dynamisme conciliaire qui allait continuer, comme une première étincelle pour les jours à venir.
Le centre de gravité ou l'épicentre du Concile était l'Église : après le temps de la réforme, l'Église catholique avait été profondément marquée par la polémique, d'abord face au protestantisme, puis face au rationalisme moderne. Elle s'était attachée quasi exclusivement aux aspects contestés de la doctrine catholique : l'organisation visible de l'Église et la répartition des pouvoirs en son sein. L'unilatéralisme issu de ces aspects a eu des conséquences sur l'équilibre de l'Église. À la veille du Concile Vatican II, l'Église catholique commençait à retrouver ses racines et, en partie du moins, son équilibre, à partir d'un ressourcement biblique, liturgique et patristique. La synthèse ecclésiologique ainsi retrouvée va recevoir son expression à Vatican II, le premier Concile à traiter formellement de l'Église : « un Concile de l'Église sur l'Église » selon l'expression de Rahner. Voilà une Église au souffle de l'Esprit qui se lève au Concile, une Église invitée à se mettre en route, à faire sa mise à jour, à ouvrir ses fenêtres et à regarder en face le monde moderne.
Voulu comme un Concile Pastoral par le Pape Jean XXIII, le Concile Vatican II n'a pas recherché à introduire de nouvelles définitions dogmatiques au sens technique de cette expression. Il est cependant riche en précisions et formulations dogmatiques dont certaines apparaissent pour la première fois dans la doctrine officielle de l'Église. Le Concile n'a rien abandonné de la tradition dogmatique antérieure ; au contraire, le Concile a renouvelé la doctrine traditionnelle de l'Église. La volonté des Pères conciliaires de maintenir l'adjectif « dogmatique » dans le titre de la Constitution Lumen Gentium est significative : Il s'agit d'une Constitution dont la portée est plus que disciplinaire. Sur certains points discutés, l'intention du Concile Vatican II était clairement de compléter la doctrine ecclésiologique des siècles passés, particulièrement celle de Vatican I, caractérisée par le monolithisme et le centralisme. En outre, le contenu des textes est d'une densité doctrinale évidente. La « Constitution dogmatique Lumen Gentium » est le premier document conciliaire de l'histoire traitant de l'Église sous tous ses aspects. En réalité tous les textes de Vatican II abordent à leur manière des dimensions fondamentales de l'Église.
Dans l'Église du présent se dessine un tournant. La discussion sur l'Église de ces dernières décennies est largement consacrée à la tâche imposée par le concile Vatican II, celle de la rénovation de l'Église. La question de l'Église, de son essence, de son unité et de ses structures, ainsi que la question du rapport de l'Église à la société actuelle, du rapport de l'Église avec les autres religions captivent l'intérêt. Ces questions ne sont nullement résolues. Se proposant de devenir actuelle, l'Église risquait même, à force d'ouverture, de perdre son sens clair ; là où elle cherchait à parler simplement et clairement, elle risquait de passer à côté des hommes et de leurs problèmes. S'efforce-t-elle de grader son identité, elle risque de perdre son influence ; s'efforce-t-elle au contraire d'exercer une influence, elle risque de perdre son identité. L'Église est devant un dilemme. À ce dilemme, on ne peut échapper que par une réponse approfondie sur le véritable sens de l'Église et de sa tâche dans le monde d'aujourd'hui. Mais le sens et le fondement de l'Église, ce n'est pas quelque idée, ni un principe et un programme, pas non plus des dogmes particuliers et des préceptes moraux, ni certaines structures ecclésiales ou sociales. À sa place, tout cela possède son droit et sa signification, pourtant le fondement et le sens de l'Église, c'est un nom, une personne : Jésus-Christ, Verbe de Dieu. Ici émerge donc l'Église qui se dilate dans l'histoire du mystère de la communion trinitaire, peuple de Dieu, rassemblé au nom du Père et du Fils et de l'Esprit-Saint.
Ainsi, pendant le Concile, les théologiens ont apporté leur contribution, en essayant de recentrer l'Église sur son fondement qui est Jésus-Christ et sa mission salvifique dans le monde. Les uns restant attachés aux Commissions en qualité d'experts ; d'autres s'adjoignant aux Commissions, quand on élargissait des groupes de discussions sur certains Schémas conciliaires en proposant des amendements nécessaires. Mais il y a aussi des théologiens attachés aux diverses conférences épiscopales nationales devant qui ils donnent des conférences et des théologiens attachés à certains évêques et cardinaux. Pour ces théologiens, il ne s'agit pas seulement de liquider le passé ; dans un monde qui change et qui a pris conscience de ce changement, quel nouveau style de vie théologale, quel comportement d'Église, quel témoignage sont désormais possible ? S'interrogeaient-ils. Et à quelles conditions ? Ce que les théologiens proposaient pour l'Église ; ce n'est pas un simple « ralliement » aux valeurs d'aujourd'hui, mais une invitation à discerner ce qui demande à être sauvé dans le monde actuel. Ces théologiens sont directement ou indirectement à l'origine de certaines interventions des Pères conciliaires et de nombreux amendements proposés pour les révisions des Schémas.
Pour ce faire, certains Pères du Concile durent mettre leurs pendules à l'heure de l'Esprit et du renouveau théologique. Beaucoup parlaient encore « Contre Réforme », pensaient « Scolastique », et les Schémas de la Commission préparatoire abondaient en ce sens. Il fallut que l'Église enseignante (les évêques) entre définitivement en XX e siècle sous l'aimable poussée de l'Église renseignante (les théologiens) à la tête de laquelle figuraient un Rahner, un Congar, un Schillebeeckx, un Ratzinger, un Philips. Épiphanie de l'Église sous la mouvance de l'Esprit et du renouvellement théologique, le Concile ne s'est pas aussi arrêté à ses frontières. Le Concile Vatican II a été un événement oecuménique par le fait même de son rassemblement. Plus de 2300 évêques, des centaines d'experts, toutes les parties du monde représentées, jamais Concile n'avait connu une telle universalité. Et l'objet du Concile était de faire advenir une unanimité dans ce monde bigarré, une conscience commune pour toute l'Église Catholique. L'Église avait revêtu donc une dimension universelle, c'est-à-dire ocuménique. D'un discours « glottophagique » qui phagocyte langues et cultures, l'Église est passée à un discours pentecostal et s'exprime dans toutes les langues et cultures. Une véritable inculturation est déjà en marche, diront certains théologiens.
Partant de cette vision des choses, affirme le théologien congolais André Kabasele, il est permis d'affirmer que le Concile Vatican II, essentiellement pastoral selon le pieux vou du Pape Jean XXIII, du côté africain, rejoignait profondément les attentes de l'Afrique car il s'est emparé en son temps des questions qui préoccupaient alors quelques esprits africains et qui allaient mobiliser pour longtemps les communautés chrétiennes. Le caractère pastoral du Concile Vatican II est un élément-clé dans sa réception en Afrique. Pour les Pères conciliaires venus d'Afrique, le problème était de « retrouver un langage pour communiquer la vérité du message, et non de redéfinir des vérités connues ». Bien plus, la coïncidence entre la tenue du Concile Vatican II et l'accession de la plupart des pays africains à l'indépendance politique a permis aux chrétiens africains d'imaginer et de voir se réaliser au plan religieux la même décolonisation.
Pour la théologie en Afrique, poursuit Kabasele, le Concile Vatican II est l'événement ecclésial qui a marqué le destin de l'Église en Afrique et on peut dire que la théologie qui se fait en Afrique est essentiellement une réception des orientations fondamentales du Concile Vatican II. C'est ce qui justifie les efforts pour trouver un langage approprié dans l'expression des énoncés de la foi. Les résultats obtenus sont importants dans la réflexion théologique sur l'inculturation, le renouvellement de la catéchèse et de la liturgie de la messe, la place de laïcs dans l'Église, les communautés ecclésiales de base, l'Église famille en Afrique. en fait il ne s'agit pas seulement d'un problème de traduction, mais d'une exigence de réappropriation.
Le défi s'est plutôt amplifié durant ces années dans le monde et particulièrement en Afrique. La situation extérieure et intérieure au sein de laquelle la réception du Concile doit s'effectuer s'est en effet profondément modifiée, et elle est devenue difficile à bien des égards. Les changements sont les plus nets dans le Tiers-monde et pour les jeunes Églises. Le centre de gravité de l'Église passe, aujourd'hui, toujours davantage de l'Europe aux Églises de l'hémisphère sud. Étant donné les problèmes sociaux énormes de ces régions, l'option pour une Église des pauvres vient toujours plus nettement au premier plan, et à juste titre. Une herméneutique correspondante du Concile constituerait une requête urgente pour l'Église dans une situation de violence politique, d'injustice criante et d'affrontements interéthniques. Ainsi, les forces libératrices et émancipatrices de l'Évangile devront prendre la forme d'une revalorisation des dimensions anthropologique, sociale et politique de la théologie. Les nouveaux défis à la solidarité, dans les situations sociales précaires que connaît la terre africaine, auront à inspirer l'action socio-pastorale de l'Église et de la théologie en Afrique.
Concile Vatican II, fin ou commencement ?
À ces esprits avant-gardistes projetant déjà l'idée d'un nouveau Concile, le Pape Jean Paul II dans sa conférence au congrès international d'études sur la mise en application du Concile Vatican II (25 au 27 février 2000), annonçait que ce Concile a été une véritable prophétie pour la vie de l'Église : il continuera à l'être pendant de nombreuses années de ce troisième millénaire. L'Église riche des vérités éternelles qui lui ont été confiées, parlera encore au monde en annonçant que Jésus-Christ est l'unique Sauveur véritable du monde : hier, aujourd'hui et à jamais .
Le Concile Vatican II a bousculé beaucoup, à juste titre, de constructions abstraites avec son sens de l'histoire et son attention au monde contemporain. Depuis quarante ans, nous vivons la réception du Concile Vatican II. Il y eut d'abord une phase de confirmation dans les années 1960 (on avait eu raison avant l'heure !), considérée comme une phase de l'exubérance. Elle était totalement dominée par le fait que le Concile était ressenti de façon immédiate comme un événement libérateur. D'une manière presque obligée cette première phase fut relayée par la phase de contestation et de déception dans les années 1970-1980 avec une polarisation tradition-modernité. Contestation et déception ont eu des raisons multiples. Il est certain que toutes les attentes légitimes n'ont pas été satisfaites et aussi le climat intérieur à l'Église et dans la société s'est modifié de façon radicale. Et enfin une phase de recherche dans les années 1990 où les questions fondamentales reviennent sur le devant de la scène. Elle montre en tout cas que le dernier Concile est loin de pouvoir être mis aux archives de l'histoire. Sa réception et sa réalisation ne sont de loin pas achevées, mais ne font en quelque sorte que commencer véritablement.
Le plus frappant dans cette histoire d'après-Concile est évidemment la mondialisation de l'Église et la planétarisation de la théologie. Avant 1960, on ne parlait ni de théologie africaine, ni de théologie latino-américaine, ni de la théologie indienne. Pour la bonne raison qu'il n'y avait pas matière à distinction car la théologie était monocolore et monolithique. Aujourd'hui, la théologie catholique se conjugue au pluriel. Non seulement par continent mais par régions à l'intérieur de ces continents. On le voit, la théologie catholique n'a pas épuisé son mandat. Tout simplement parce qu'elle est la foi qui essaie de se penser, en chaque lieu du monde et à chaque moment de l'histoire.
Pour le théologien Rahner, l'essentiel est que « le Concile est un début, non une fin. Il est une introduction à une tendance, non un point d'aboutissement. ». Vatican II est significatif plus par ce qu'il a achevé que par ce qu'il a amorcé. Pour notre temps, il définit un esprit, une dynamique. Il ne nous semble pas judicieux d'aller répétant qu'il faut revenir textuellement à Vatican II. Nous avons donc ainsi non seulement le droit, mais le devoir de comprendre ce Concile, comme l'exprime Rahner, à la fois « comme un aboutissement et comme un commencement ». Il nous faudra nous écarter de lui, non pour l'abandonner, mais pour mieux le comprendre, pour le pénétrer avec toute notre intelligence et tout notre cour. Nous aboutirons vraiment à lui (ce qui est autre chose que de se borner à le répéter) que s'il est, pour nous, non seulement un point d'arrivée, mais aussi un point de départ.
Nous sommes aujourd'hui bien au-delà, et socialement et ecclésialement du Concile. L'application du Concile implique donc une insertion dans le procès de sa transmission où se médiatise la fusion des horizons de l'événement passé et le présent de notre horizon actuel. Le dialogue herméneutique est donc la fusion des horizons. Dans cette fusion, un sens nouveau surgit qui est le produit de cette fusion. La compréhension de l'événement passé se révèle alors sous un jour différent et en même temps transforme la compréhension du présent. La fusion des horizons est l'opération dialogique ou herméneutique grâce à laquelle s'enrichit de significations et de vérités nouvelles. Il ne s'agit pas d'une répétition servile aux besoins de notre « aujourd'hui », mais plutôt remonter aux sources vitales, à l'intuition fondamentale et secrète, pour récupérer la capacité créatrice. La fidélité n'est pas répétition et transmission littérale d'un message transformé en thèse figée et statufiée, mais plutôt l'attitude de réflexion plus intime et l'effort de création audacieuse, préludes nécessaires de la véritable fidélité spirituelle. C'est cette attitude d'invention créative qui a toujours caractérisé la Tradition vivante de l'Église. Le Concile Vatican II est passé, son temps est passé, mais il faut en retrouver l'esprit, l'intuition, la créativité. Dans un monde, qui est le nôtre, en constate mutation, la réception fidèle du Concile exige la créativité du cour et de l'esprit.
Ce n'est pas le moindre des défis que représente Vatican II que de nous inciter à aller au-delà des simples textes, en pleine fidélité à la Tradition qu'il atteste, et à déployer d'une manière nouvelle, face à l'indifférentisme religieux de notre temps, face à la paupérisation anthropologique sous d'autres cieux, le message du Dieu de Jésus-Christ, et sa signification pour le salut de l'homme et du monde. En fin de compte, tout l'effort du Concile, des réformes post-conciliaires, et le débat qu'ils ont suscité, n'auront valu la peine que s'il en naît un « plus » de foi, d'espérance et de charité. Cela, et cela seul, est le critère ultime de toute herméneutique conciliaire.
Mémoire et créativité : tel est le mot d'ordre que nous proposerons. Mémoire : c'est-à-dire, intériorisation et assimilation personnelle et ecclésiale des documents. Créativité : c'est-à-dire, invitation à déployer soi-même, là où l'on est et dans la responsabilité spécifique ecclésiale qui nous incombe, les potentialités d'inventivité de la dynamique conciliaire. C'est cela l'aventure de la foi : une attitude de foi à la fois créative et responsable, toujours prêtes à affronter courageusement de nouvelles situations et de nouveaux problèmes, à la lumière de la Bonne Nouvelle en Jésus-Christ . « Ainsi de la mémoire, jaillira la prophétie. »
On comprend dès lors que les défis demeurent toujours. Le travail est devant nous. L'évangélisation est plus que jamais d'actualité. La partie n'est pas gagnée. Mais la puissance de l'Esprit Saint est à l'ouvre plus que jamais dans ce monde difficile où l'Église apparaît comme la porte du salut de l'humanité.
Père Grégoire Marie KIFUAY, sdb
kifgrema@yahoo.fr
Via N. Zabaglia, 2
00153 ROMA
ITALIA
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Cf. G. Alberigo , « Vatican II : critère pour une histoire », in Interpréter. Hommage amical à Claude Geffré , Éd. du Cerf, 1992, 262.
Cf. W. G. Jeanrond , Introduction à l'herméneutique théologique. Développement et signification , [Trad. de l'anglais par P. L. Lesafre ], Paris, Éd. du Cerf, (Coll. « Cogitatio Fidei », 185), 1995, 92-93.
Documentation Catholique (DC) , 1296/1959, col. 197.
DC , 1306/1959, 907-920.
« Discours de S. S. Jean XXIII à l'issue de la cérémonie d'ouverture solennelle du Concile Vatican II, le 11 octobre 1962 », DC, 1387/1962, col. 1382-1383.
Pour une ample information, se référer à Y. Congar , Vatican II. Le Concile au jour le jour , Paris, Éd. du Cerf, 1963-1966 (1 vol. par session) ; G. Martelet , Les idées maîtresses de Vatican II. Initiation à l'esprit du Concile , Paris, Desclée de Brouwer, 1969.
Concile Ocuménique Vatican II, Constitutions, Décrets, Déclarations, Messages, textes français et latin, tables bibliques et index des sources , Paris, Éd. Le Centurion, 1967.
A. Kabasele Mukenge , « Défis et exigences de la théologie africaine aujourd'hui », in La théologie entre deux siècles. Bilan et perspectives. Actes du colloque organisé à l'occasion du 575 e anniversaire de l'université catholique de Louvain , Louvain-la-Neuve, 57-75.
Jean Paul II, « Le Concile sera encore une prophétie pendant de nombreuses années du troisième millénaire. Discours au Congrès international sur la mise en ouvre de Vatican II », in Documentation Catholique , 2222/2000, 251-253.
Cf. W. Kasper , La théologie et l'Église , Paris, Éd. du Cerf, (Coll. « Cogitatio Fidei » 158), 1990, 423.
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