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MIEUX CONNAÎTRE MARIE
POUR MIEUX L’AIMER
Prolégomènes
Dans le cadre de la célébration du 150e anniversaire de la proclamation du « dogme de l’Immaculée Conception » et répondant au désir de notre Père Alphonse Owoudou qui nous demande de contribuer par un argumentaire théologique au sujet de la Vierge Marie, nous proposons cette réflexion méditative qui a pour thème « Mieux connaître Marie, pour mieux l’aimer ». Le titre résume le propos que nous voulons essayer de tenir tout au long de cet exposé. Dans les relations humaines et particulièrement dans les relations amoureuses, pour arriver à une certaine intimité entre deux personnes, il faut au préalable une certaine connaissance. On ne peut arriver à l’amour, au mariage, que si au préalable, il y a une connaissance entre les deux partenaires. Ainsi, la connaissance est la condition de possibilité de l’émergence d’un amour vrai. De même aussi, pour parler de Marie, de la dévotion à la Vierge Mère de Dieu, pour l’aimer, il nous faut tout d’abord une certaine connaissance. « Connaître Marie pour mieux l’aimer » : il ne s’agit pas tout d’abord, ici, d’un traité de mariologie, ni seulement d’un exposé où l’on acquiert des connaissances sur Marie, mais surtout d’un chemin d’écoute et d’obéissance à la Parole de Dieu sur les pas de la Mère de Dieu.
À ce propos, s’appuyant sur les « Écritures, la Tradition de l’Église », quelques textes importants, dont nous recommandons la lecture, pour qui veut acquérir une certaine initiation à la doctrine de l’Église sur la Vierge Marie, guideront notre démarche : Le chapitre VIII de la « Constitution Dogmatique : Lumen Gentium » du Concile Vatican II (1964), « l’Exhortation Apostolique du Pape Paul VI : Marialis Cultus » (1974), « l’Encyclique du Pape Jean Paul II : Redemptoris Mater » (1987), « Le Document œcuménique du groupe des Dombes : Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints », (Deux volumes : 1997, 1998), « La Lettre Apostolique du même Pape Jean Paul II : Rosarium Virginis Mariae », (2002) qui proclamait une année mariale, du 16 octobre 2002 au 16 octobre 2003. Tous ces documents montrent à merveille la dimension christologique et ecclésiologique d’une théologie ou d’une dévotion mariale. La Vierge Marie, Mère de Dieu, nous est alors présentée dans sa relation au mystère du Christ et au mystère de l’Église. Mais il est aussi à noter que la théologie mariale ne peut être dépendante ni de la seule christologie ni de la seule ecclésiologie, même si elle se rattache à l’une et à l’autre. « Le discours sur Marie, écrit le Cardinal J. Ratzinger, souligne plutôt, le nexus mysterium », le lien intérieur des mystères, dans leur face-à-face et leur unité . C’est dire que Marie est au carrefour du mystère et de la mission ; au cœur du paysage théologique, Marie veille à cet autre croisement, où se rencontrent le discours sur Dieu et le discours sur l’homme.
Nous ne nous berçons pas d’illusions sur la compréhension que nous avons les uns les autres sur la personne de la Vierge Marie. S’il est un sujet controversé sur les diverses confessions chrétiennes, c’est bien celui de la place de la Vierge Marie dans l’économie du salut. Beaucoup de questions fusent de partout. Les chrétiens de tout bord s’interrogent sur la place à donner à la Vierge Marie dans leur vie… Ces questionnements et interrogations tournent autour de la « virginité perpétuelle » de Marie et du sens à donner à l’expression des « frères et sœurs » dans le Nouveau Testament ; des « dogmes marials » définis par l’Église catholique, l’Immaculé Conception et l’Assomption ; de la « coopération » de la Vierge Marie au mystère du salut ; de « l’invocation de Marie… »
Nous articulons l’argumentaire sur les points suivants :
I. Marie dans les Écritures
II. Les privilèges de la Vierge Marie
- La virginité perpétuelle de Marie ;
- Marie pleine de grâce et élevée au ciel.
III. Marie, servante de l’Église : Invocation de la Vierge Marie
- La coopération de Marie au Mystère du salut ;
- Nature et fondement du culte à la Vierge Marie ;
- La dévotion à la Marie.
I. Marie dans les Écritures
Puisque tous les documents ecclésiaux sur Marie soulignent l’importance de la place que doit occuper la Parole de Dieu, c'est-à-dire les Écritures dans toute piété mariale authentique, nous commençons par la place de la Vierge Marie dans les Écritures . La Vierge Marie n’est pas mentionnée dans le « kerygme apostolique ». Dans les documents les plus anciens comme dans les plus solennels, Marie est beaucoup moins présente que dans les Évangiles : elle est absente de la prédication des Apôtres : Ac 2, 14-36 ; absente aussi des plus anciennes confessions de foi. Néanmoins les mentions qui la concernent tiennent une place qui n’est pas marginale dans le corpus néo-testamentaire, même si elles se trouvent localisées dans quelques textes seulement. L’Évangile atteste que « Marie est la Mère de Jésus ». Elle a été choisie par Dieu pour être la mère de son Fils. C’est pourquoi l’Église la reconnaît comme « Mère de Dieu » et comme notre mère. Aujourd’hui, bien des chrétiens éprouvent de sérieuses difficultés devant les affirmations du « Credo » que « Jésus est né de la Vierge Marie ».
Ces difficultés ne tiennent pas seulement à la naissance virginale de Jésus, ce qui apparaît à beaucoup difficilement compréhensible, voire totalement incompréhensible ; le problème porte fondamentalement sur le fait que Marie soit mentionnée dans le « Credo ». Les protestants surtout craignent que le culte rendu à Marie ne compromette la foi en Jésus-Christ, unique Médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm 2, 5). Il est, de fait, incontestable qu’il y a eu et qu’il y a encore des exagérations (une forme de mariolatrie ou idolatrie) dans la piété mariale. Mais il y a aussi des simplifications abusives et des raccourcis qui méconnaissent que Marie a sa place dans le « Credo » de l’Église, parce qu’elle fait partie de l’Évangile comme l’atteste la Sainte Écriture. C’est de cette image biblique de Marie qu’il faut partir. Une doctrine et une piété mariales authentiques doivent toujours se laisser inspirer et juger par elle. La Sainte Écriture mentionne Marie d’abord parce qu’elle est « la mère humaine de Jésus ». En Hébreu, son nom est « Myriam ». Elle est une femme issue du petit peuple, et elle espère avec son peuple la venue du Sauveur issu de la maison de David. Au moment où la promesse de Dieu s’accomplit, elle prononce le « oui de la foi » et se met de tout son cœur au service du salut et de l’espérance de son peuple (Lc 1, 38). Le témoignage du Nouveau Testament sur Marie ne se limite cependant pas aux récits de l’enfance de Jésus dans Matthieu et dans Luc. Nous rencontrons aussi Marie dans la vie terrestre de Jésus (Mc 3, 20-21 ; Lc 11, 27 ; Jn 2, 1-12). Elle apparaît comme celle qui cherche et interroge, et à qui des graves déceptions ne sont pas épargnées. Elle se trouve également sur le chemin de la croix. Mais elle reste fidèle à ce « oui » qu’elle a prononcé au début, dans la foi, et elle se tient debout, avec le « disciple que Jésus aimait », au pied de la croix (Jn 19, 25-27). C’est pourquoi elle est vénérée comme la « Mère des douleurs ». Enfin, nous la rencontrons encore une fois au sein de la communauté primitive de Jérusalem en prière pour demander la venue du Saint Esprit (Ac 1, 14).
Pour comprendre toutes ses allusions à Marie dans le Nouveau Testament, il faut voir qu’elle s’inscrit dans la longue histoire des grandes femmes dans l’Ancien Testament. Tout au début, il y a la figure d’Ève : créée à l’image de Dieu, elle est l’égale de l’homme, chargée avec lui de représenter la Royauté de Dieu sur la création. Mais, au lieu d’être une aide pour Adam, elle contribue à le tenter. Malgré cela, elle reçoit la promesse d’être la mère de tous les vivants (Gn 3, 20). Cette promesse est répétée plusieurs fois par la suite. À Sara, femme d’Abraham, en vertu de cette promesse, il est donné de concevoir un fils, Isaac, en dépit de son grand âge (Gn 18, 10-14). Il en va de même pour la naissance de Samson (Jg 13) et de Samuel, fils d’Anne (1 S 1). Dans tous ces récits, Dieu, contre toute attente et contre toute espérance humaines, renouvelle constamment le don de la vie, pour être fidèle à sa promesse. Dieu choisit ce qui est faible et impuissant pour confondre ce qui est fort (1 Co 1, 27). C’est pourquoi, dans des situations difficiles pour le peuple d’Israël, il appelle des femmes à être les sauveurs d’Israël : Débora, Judith et Esther. Dans cette histoire, Marie occupe une place unique, au moment où la promesse divine se réalise pleinement. Elle se situe dans la « plénitude de temps », quand Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme (Ga 4, 4). À la mission qui lui est proposée, Marie répond par le « oui » de la foi (Lc 1, 38). Ainsi est-elle la vraie fille d’Abraham, à laquelle s’applique cette parole : « Bienheureuse celle qui a cru » (Lc 1, 45). C’est pourquoi, à l’annonce de la naissance de Jésus, elle est interpellée avec les mêmes mots par lesquels l’Ancien Testament s’adresse à Israël, la fille de Sion : « Réjouis-toi » (Lc 1, 28). « Crie de fille de joie, fille de Sion ; pousse des acclamations Israël ; réjouis-toi, ris de tout cœur, fille de Jérusalem » (So 3, 14 ; Jl 2, 23; Za 9, 9). Marie est donc la fille de Sion, la « représentante d’Israël à l’heure où s’accomplit son espérance ».
Marie elle-même chante l’accomplissement de la promesse de l’Ancien Testament, dans cette hymne que nous appelons le « magnificat » (Lc 1, 45-55). Ce texte fourmille d’allusion à l’Ancien Testament et rappelle principalement le chant d’action de grâce d’Anne après la naissance de Samuel (1 S 2, 1-10). Dans ce chant, Marie apparaît comme une prophétesse qui se situe dans la lignée des femmes célèbres et des grands hommes de l’histoire de son peuple, et qui les surpasse tous. Comme eux, Marie sait qu’à Dieu seul appartiennent l’honneur et la gloire, la louange et l’action de grâce. Elle proclame, par conséquent, que tous les jugements des valeurs terrestres sont caducs. « Il a jeté les puissants en bas de leurs trônes et il a élevé les humbles ; les affamés, il les a comblés de bien, et les riches, il les a renvoyés les mains vides » (Lc 1, 52-53). Par ce chant de louange tout imprégné de l’esprit de l’Ancien Testament, Marie anticipe en même temps l’Évangile du Nouveau Testament, en particulier le sermon sur la montagne, qui proclame bienheureux les pauvres, les petits et les persécutés. Par toute son existence, elle rend témoignage à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ : les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers (Mc 10, 31). Ce n’est pas sans raison que le « Magnificat » est repris dans la liturgie des heures, où il constitue chaque jour le sommet de l’office vespéral. Marie est ainsi l’inspiratrice du chant de louange que l’Église doit à Dieu pour ses hauts faits dans l’histoire. « Marie est donc le modèle et le prototype de la foi chrétienne ». Elle est le modèle de l’espérance de l’Avent, du don total de soi dans la foi et du service inspiré par l’Esprit d’amour. Elle est « le prototype de l’être humain qui écoute la Parole de Dieu et qui s’adresse à lui dans la prière ». Elle garde et médite dans son cœur ce qu’elle a vu et entendu de Dieu (Lc 2, 19. 51). Mais, dans sa foi, Marie reste celle qui interroge et qui cherche. Elle est la femme accablée de douleur, la « mère des douleurs » qui, au pied de la croix, s’unit au sacrifice de son Fils. Elle est, pour dire, la servante humble et pauvre du Seigneur.
II. Les privilèges de la Vierge Marie
II. 1. La Virginité perpétuelle de Marie
La mention des frères et sœurs de Jésus est une donnée du Nouveau Testament. La difficulté de son interprétation ne porte nullement atteinte à notre foi commune en Christ, « premier-né de la Vierge Marie ». Sur le plan de l’histoire et des études bibliques, compte tenu des débats récents, sur le sujet, il est impossible de faire la preuve certaine que les frères et sœurs de Jésus l’étaient au sens restreint de ces mots, ni dans le sens contraire, qu’il s’agit de la famille au sens large des cousins et cousines. À l’hypothèse selon laquelle il s’agirait de vrais frères et sœurs de Jésus selon la chair, on peut opposer les raisons suivantes : - Jésus seul est appelé le fils de Joseph et le fils de Marie ; - d’après Lc 1, 27, ils ne peuvent pas être des fils plus âgés que Jésus ; - ils ne peuvent pas être non plus des fils plus jeunes, car autrement on ferait mention d’eux lors du pèlerinage à Jérusalem (Lc 2, 41-52) ; - C’est à Jean que Jésus confie sa Mère à la croix (Jn 19, 26) ; - on peut aussi montrer que dans les textes qui a subi l’influence sémitique le mot grec adelphos (en français frère) est employé pour désigner aussi des parents proches . Le Symbole de la foi confesse cette foi en la maternité divine de Marie lorsqu’il dit expressément : « Que Jésus est né de la Vierge Marie. Marie est donc restée Vierge », avant l’accouchement, c'est-à-dire, Marie a conçu son Fils Jésus sans la coopération d’aucun père humain. Les deux récits de l’enfance de Jésus, chez Matthieu (1, 18-25) et Luc (1, 26-38), justifient cette affirmation. D’après le récit de l’Annonciation selon Saint Luc, Marie demande à l’ange qui lui annonce l’incarnation de l’Emmanuel dans son sein : « Comment cela se fera-t-il, puisque je suis vierge ? ».
La virginité pendant l’accouchement, est une vérité de foi. Son sens est que la naissance de Jésus n’a porté nulle atteinte à la virginité de sa mère, car d’une part elle n’a pas constitué de souillure au regard de la Loi juive, évoquée en Lc 2, 22 et d’autre part la loi de la virginité et de consécration de la mère au Fils demeure. Autrement dit, « la virginité de Marie est restée compatible avec sa maternité », car celle-ci n’a été liée à aucun moment à une activité sexuelle de type conjugale. L’intégrité virginale de Marie demeure. Si donc l’enfant Jésus a ouvert le sein de Marie, ce que semble suggérer Luc en appliquant à Marie la formule Lévitique « tout male ouvrant la sein » (Lc 2, 23), non seulement il ne lui a fait rien perdre de sa virginité, mais encore il l’a consacrée au sens où cette nativité comportait pour Marie une perspective de virginité. La véritable objection de beaucoup de nos contemporains contre la foi en la naissance virginale est surtout fondée sur des arguments scientifiques. Dans cette perspective, la naissance virginale apparaît sinon comme absolument impossible, du moins hautement invraisemblable. Mais ce qui apparaît invraisemblable aux hommes, est-il impossible à Dieu, ou bien est-il vrai que rien n’est impossible à Dieu ? (Lc 1, 37). La voie particulière de la naissance virginale exprime symboliquement le fait qu’en Jésus, c’est Dieu qui s’incarne. La naissance virginale manifeste, avec une clarté insurpassable, que Jésus, en tant que Fils de Dieu, doit son existence uniquement à son Père des cieux. La naissance virginale est donc un signe de ce que Jésus est véritablement le Fils de Dieu.
La virginité de Marie après la naissance de Jésus signifie que Marie est restée vierge et n’a pas donné la vie à d’autres enfants. Cette vérité de foi est un dernier rayonnement de son « oui » et de sa disponibilité totale à la volonté de Dieu. La virginité de Marie est toujours en rapport et en relation avec sa dignité de Mère de Dieu. Sans que la Vierge Marie en fût expressément consciente, la grâce de la maternité divine l’a-t-elle, dès le début et à travers toute sa vie, formée et constituée de telle manière que la décision de virginité était déjà éveillée avant le message de l’ange. Cette grâce de la virginité est chez elle un reflet intérieur, une conséquence de sa vocation à la maternité divine. L’œuvre qui s’accomplit en Marie est toute divine. Elle deviendra Mère sans cesser d’être Vierge. Et pourquoi Jésus est née d’une Vierge ? À cette question on peut apporter des raisons de haute convenance : Dieu le Père a voulu que la génération temporelle de son Fils soit virginale à l’image de la génération éternelle de Dieu .
II. 2. Marie, pleine de grâce et élevée dans la gloire
Marie pleine de grâce, signe de notre sanctification (l’Immaculée conception) et Marie élevée dans la gloire, signe de l’espérance (l’Assomption de Marie au ciel) : L’immaculé conception et l’Assomption de Marie constituent deux données dogmatiques sur la Vierge Marie, qui, bien que non formellement attestées dans l’Écriture, ont cheminé dans l’Église depuis la fin de l’époque apostolique pour aboutir dans l’Église Catholique aux deux définitions solennelles : « Immaculée conception en 1854 et l’Assomption en 1950 ». Ces deux mystères de la Vierge sont souvent appelés des « privilèges ». Il s’agit en fait de deux conséquences de la maternité divine. C’est sur le fondement de la considération de cette maternité divine que la foi des chrétiens est venue à scruter la sainteté de Marie et à la poser jusque dans son origine et à s’interroger aussi sur sa mort et le sort de son corps après la fin de sa vie terrestre. D’un côté, ce fut le cheminement qui est allé de la sainteté personnelle à la sainteté initiale et originelle, c'est-à-dire l’immaculée conception. De l’autre, ce fut le cheminement qui considéra la mort de Marie comme une « dormition », avant de comprendre celle-ci comme une assomption.
Voici l’énoncé du dogme de l’Immaculée conception, tel qu’il a été défini le 8 décembre 1854 par le Pape Pie IX : « Nous déclarons, prononçons et définissions que la doctrine qui tient la bienheureuse Vierge Marie a été, dans le premier instant de sa conception, par une grâce singulière de Dieu et par privilège, en vue des mérites de Jésus Christ sauveur du genre humain, préservée de toute souillure du péché est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles » (Bulle Ineffabilis Deus). Voici comment Pie XII a défini le dogme de l’Assomption, le 1 Novembre 1951 : « Par l’autorité de Notre Seigneur Jésus Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul et par notre propre autorité, nous affirmons, nous déclarons et nous définissions co,mme dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu Marie, toujours Vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste » (Munificentissimus Deus).
Certains chrétiens de la Réforme mettent surtout en doute ces deux dogmes parce qu’ils ne trouvent aucun fondement biblique explicite. Et pourtant selon la compréhension catholique, nous pouvons distinguer trois domaines de vérités dans l’enseignement de l’Église. Le premier est constitué des vérités qui appartiennent à la révélation consignée dans l’Écriture et attestée par la Tradition dont l’ensemble est repris dans le credo. Le deuxième constitue les grandes définitions dogmatiques formulées par les conciles et les papes. Ici, l’Église, revendique l’autorité de pouvoir enseigner des vérités qu’elle juge irréformables, sans que celles-ci appartiennent directement à la révélation, mais parce que jugées nécessairement liées à la révélation, en vertu d’un rapport historique et en raison de connexion logique. Le troisième concerne l’enseignement authentique et courant du pape et des évêques.
III. MARIE, SERVANTE DE L’ÉGLISE : INVOCATION DE LA VIERGE MAIRE
Unique est notre Médiateur, selon les paroles de l’Apôtre : « Car, il n’y a qu’un Dieu, il n’y aussi qu’un Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est donné en rançon pour tous » (1 Tm 2, 5-6). Mais le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette médiation unique du Christ : il en manifeste au contraire la vertu. Car toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge Marie sur tous les hommes à sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu : elle ne naît pas d’une nécessité objective, mais découle de la surabondance des grâces et de mérités du Christ ; elle s’appuie sur sa médiation, dont elle dépend en tout et d’où elle tire sa vertu ; l’union immédiate des croyants avec le Christ ne s’en trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée. La bienheureuse Vierge, prédestinée de toute éternité, à l’intérieur du dessein d’incarnation du Verbe, pour être la Mère de Dieu, fut sur la terre, en vertu d’une disposition de la Providence divine, la vénérable Mère du Divin Rédempteur, généreusement associée à un titre absolument unique, humble servante du Seigneur.
En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant au Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourrait sur la Croix, elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille, par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. À partir du consentement qu’elle apporte par sa foi au jour de l’Annonciation et qu’elle maintint dans sa fermeté sous la Croix, cette maternité de Marie dans l’économie de la grâce se continue sans interruption jusqu’à la consommation définitive de tous les élus. En effet, après son Assomption au ciel, son rôle dans le salut ne s’interrompt pas ; par son intercession répétée elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la patrie bienheureuse. C’est pourquoi la bienheureuse est invoquée.
III. 1. La coopération de Marie au mystère du salut
L’un des points majeurs du contentieux doctrinal entre protestants et catholiques sur Marie concerne certainement l’affirmation catholique selon laquelle celle-ci « a coopéré » au salut de l’humanité. Une telle conviction semble porter atteinte à l’affirmation majeure et fondamentale de la Réforme, celle de la justification par la foi en Christ, seul Sauveur (Solus Christus), indépendamment des œuvres. Au regard de la conviction protestante, le terme « coopération » est soupçonné de véhiculer l’idée d’une collaboration sinon à égalité, du moins du même ordre, entre le Christ et Marie pour notre salut . C’est un terme construit en « Co ». La théologie et la piété protestantes y voient aussi l’expression d’un rôle indépendant de Marie, voire celle d’une rivalité entre elle et le Christ. K. Barth, l’un des célèbres théologiens protestant a vigoureusement protesté contre la mariologie catholique qu’il a taxé d’hérésie et le point majeur qu’il visa est la « coopération de Marie ». Devant cette contestation radicale protestante, il faut reconnaître d’abord que bien des théologiens catholiques mariologues, se sont avancés sur une pente dangereuse et ont contribué à un usage abusif des termes tels que « co-rédemption, médiation » à propos de Marie. Avant et pendant le Concile Vatican II, et même après, certains théologiens ont adressé au Saint Siège de demande en faveurs de nouvelles définitions dogmatiques : « Marie Corédemptrice, Médiatrice, Avocate ». Après un temps de travail et de recherche théologique par l’Académie Pontificale Mariale Internationale, on est parvenu à une double conclusion : - Tels qu’ils sont proposés, les titres apparaissent ambigus car on peut les comprendre de manières différentes. - Il est apparu que l’on ne doit pas abandonner la ligne théologique suivie par le Concile Vatican II. Dans son Magistère, le Concile Vatican II n’a pas employé le mot « co-rédemptrice » et il a fait un emploi très sobre des titres « Médiatrice et Avocate ». En réalité, le terme « Co-rédemption » n’est pas employé par le Magistère des Souverains Pontifes, dans les documents importants, depuis l’époque de Pie XII. Ainsi, l’expression même de « co-rédemption » est objectivement fautive, car elle donne à penser que le rôle de Marie est du même ordre que celui du Christ.
Le terme de « Marie Médiatrice » a pour lui la tradition d’un certain usage au Moyen Âge. Si le Christ est l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes (1Tm 2, 5) au sens propre du terme, en un sens dérivé « pour autant que l’unique médiateur choisit d’œuvrer par eux, les croyants, comme instruments », on peut dire que nous sommes les uns les autres, médiateurs. Mais parce que le titre de médiatrice a, de fait, été utilisé pour Marie indépendamment de cette communion des saints où nous avons tous un rôle de médiation, il est devenu gros d’un malentendu d’importance théologique. Par ailleurs, le terme « Coopération » est retenu par les textes officiels catholiques, comme le Chap. VIII de LG, dont l’intention œcuménique est évidente. Il exprime quelque chose de cher à la tradition catholique, étant entendu que « coopérer », pour une créature humaine, c’est toujours « répondre » dans la foi, l’espérance et la charité. Il n’y a donc pas forcément une opposition entre la « coopération » au sens catholique ainsi exprimé et la réponse reconnaissante de l’homme au don parfait. La « coopération » de Marie est le fruit d’une initiative du Père, qui regarde « la bassesse de sa servante » (Lc 1, 48). Elle est aussi le fruit de la « kénose » du Fils qui « s’est dépouillé et abaissé » (Ph 2, 7-8) pour donner à l’humanité la possibilité de répondre. Elle est, enfin, le fruit de l’action de l’Esprit qui dispose son cœur à l’obéissance. C’est ce qui se produit au moment du « Fiat » de Marie. L’humilité de Marie est le fruit de l’humilité du Fils. Le cas de Marie est un exemple de ce qui arrive à tous les sauvés. Le salut est un rapport : il n’y a pas de salut si celui-ci n’est pas reçu, s’il ne rencontre pas une réponse dans l’action de grâces, ainsi la disponibilité se fait obéissance. La docilité à l’Esprit devient active. Ainsi, « contrairement à la doctrine protestante, l’accueil, ici, n’est pas une œuvre ». Celui qui reçoit un cadeau n’est pour rien dans l’initiative du cadeau. Mais le cadeau n’est pleinement cadeau que s’il est reçu. En rigueur de terme, il n’y a pas de cadeau si le destinataire ne l’accueille pas. Il n’y a plus alors qu’une offre. Le donateur a en quelque sorte besoin de donataire (personne chez qui une donation est faite) pour qu’il y ait cadeau. Un cadeau est une sorte d’invocation que le donateur fait au donataire. La réponse au cadeau fait partie du cadeau. Une telle réflexion s’inscrit parfaitement dans la logique paulinienne de la justification par la foi et de la foi qui opère par la charité (Ga 5, 6).
Dans les Évangiles, Jésus n’hésite pas à dire « ta foi t’a sauvé », attribuant à la foi ce qui est l’œuvre de la grâce. Un exemple de coopération nouvelle suscitée par la grâce de justification est la coopération des ministres. Paul par sa parole édifie l’Église : il coopère. Mais il le fait à partir de son oui prononcé dans la foi et suscité par l’Esprit. Paul a osé dire de lui et de ses compagnons : « Nous sommes les coopérateurs » (synergoi) de Dieu (1 Co 3, 8). Cette « co-opération » désigne l’action des serviteurs du Maître, lui-même seul « opérateur ». Le Concile Vatican II dans sa Constitution sur l’Église lie intimement le mystère de la Vierge et le mystère de l’Église. C’est le terme de « modèle » (typus en latin) qui devient ici central. L’encyclique de Jean Paul II « Redemptoris Mater » reprend l’expression « modèle » et y ajoute celle de « figure » de l’Église (42). Marie est davantage qu’un modèle ou une référence exemplaire : elle constitue le « prototype » de l’Église, c'est-à-dire celle qui récapitule et met en relief les composantes essentielles de la communauté ecclésiale : la reconnaissance du dessein prévenant de Dieu, la foi en la Parole, le sens du service, l’ouverture universelle… elle est la « réalisation la plus pure et la plus intense de l’Église ». Le Concile Vatican II s’est gardé, néanmoins, de toute enflure mariologique et n’a pas voulu « trancher sur les débats des théologiens mariologues » (LG 59).
Une seule fois, le Concile Vatican II concède à Marie le titre de « Médiatrice » (LG 62). Mais le mot est entouré d’un luxe de détails explicatifs : « Unique est notre médiateur… le rôle maternel de Marie à l’égard des hommes n’offusque et ne diminue en rien cette unique médiation du Christ : il en manifeste au contraire la vertu… Marie apporte une coopération sans pareille à l’œuvre du Sauveur par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité » (LG 62). Sa coopération n’est pas du côté de la source, de l’initiative, mais seulement de réponse et donc de l’ordre de grâce. Le terme de « co-rédemptrice » est soigneusement écarté. L’encyclique « Redemptoris Mater » n’emploie pas le terme « médiatrice » mais l’expression « médiation maternelle », en insistant sur le fait que la médiation de Marie est « participée », qu’elle s’appuie sur celle du Christ « dont elle dépend en tout ». Le terme « médiatrice » est assorti d’une accumulation de termes qui lui donne sa juste mesure : « subordonné, associé, dépendance, coopération, participation… » Le Pape Jean Paul II valorise « la médiation maternelle » et insiste sur une médiation, « dans le Christ (in Christo), mais non avec le Christ (con Christo) ». Ni le Concile Vatican II, ni l’Encyclique du Pape Jean Paul II « Redemptoris Mater » ne s’interdissent de reprendre le terme de « coopération » mais comme celui de « médiation », c’est en l’accompagnant de remarques qui en déterminent la signification et les limites.
À cet égard et l’encontre d’une mariologie déviante, on ne doit jamais perdre de vue les principes formulés par le Pape Paul VI : « Marie, humble servante du Seigneur, est tout entière ordonnée à Dieu et au Christ, notre unique Médiateur et Rédempteur… dans la Vierge Marie tout se rapporte au Christ… » (Discours de clôture de la troisième session, le 21/11/1964, que le Pape proclame la Vierge Marie, Mère de l’Église). Mais ces considérations n’altèrent en aucune façon notre dévotion mariale, ni le rapport de la maternité de Marie et celui de l’Église. Avec Marie, et en un sens comme Marie, l’Église est Mère. Comme Marie, l’Église sait qu’elle est objet d’un amour gratuit et que Dieu a des « entrailles de mère ». Elle se veut obéissante dans la foi et désire qu’il lui soit fait « selon la Parole du Seigneur ». Comme Marie, l’Église engendre et éduque (Mater et magistra) à une vie nouvelle : elle enveloppe ses fils dans son amour, un amour sans frontières, un amour qui éclaire et qui conduit au terme.
III. 2. Nature et fondement du culte à la Sainte Vierge Marie
Marie a été élevée par la grâce de Dieu, au-dessous de son Fils, au-dessus de tous les anges et de tous les hommes comme la Mère très Sainte de Dieu ; aussi est-elle légitimement honorée par l’Église d’un culte spécial. Et de fait, depuis les temps les plus reculés, la bienheureuse « Vierge Marie est honorée sous le titre de Mère de Dieu » et les fidèles se réfugient sous sa protection, l’implorant dans tous les dangers et leurs besoins. Surtout depuis le Concile d’Éphèse, le culte du peuple de Dieu envers Marie a connu un merveilleux accroissement, sous les formes de vénération et de l’amour, de l’invocation et de l’imitation, réalisant ses propres paroles prophétiques : « toutes les générations me diront bienheureuse, car le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses » (Lc 1, 48). « Ce culte, tel qu’il a toujours existé dans l’Église, présente un caractère absolument unique ; il n’en reste pas moins essentiellement différent du culte d’adoration qui est rendu au Verbe Incarné ainsi qu’au Père et à l’Esprit ; il est éminemment apte à le servir ». En effet, les formes diverses de piété envers la Sainte Vierge que l’Église a approuvées, en les maintenant dans les limites d’une saine doctrine orthodoxe et en respectant les conditions de temps et de lieu, le tempérament et le génie des fidèles, font que, à travers l’honneur rendu à sa Mère, le Fils pour qui tout existe (Col 1, 15-16) et en qui il a plu au Père éternel de faire habiter toute la plénitude (Col 1, 19), est glorifié et honoré.
Cette doctrine catholique du culte à la Vierge Marie, le Saint Concile l’enseigne formellement. Il engage en même temps tous les fils et les filles de l’Église à apporter un concours généreux au culte, surtout liturgique, envers la bienheureuse Vierge Marie, à faire grand cas des pratiques et exercice de piété envers elle, que le magistère a recommandé de conserver au cours des siècles ; il recommande de conserver religieusement toutes les règles portées dans le passé au sujet du culte des images du Christ, de la bienheureuse Vierge Marie et des saints. Si, d’une façon générale, les chrétiens ont la possibilité de rendre culte au saints , Marie occupe une place unique dans l’histoire du salut : d’une part, en effet, à louer ce que Dieu fit en elle, on loue et on rend grâce de façon insigne pour l’unique et ample grandeur que Dieu a conférée à l’humanité en général et, d’autre part, il nous faut reconnaître la grâce de Dieu dans ce qu’elle a fait effectivement et dans ce qu’elle a manifesté être son œuvre à elle par la Parole de Dieu. (Le culte particulier qui revient à Marie comme Mère de Dieu, culte qui n’a évidemment rien avoir avec l’adoration, est appelée hyperdulie et n’est pas autre chose que le culte religieux (dulie) dû aux parfaits rachetés et sanctifiés du ciel, mais se référant précisément à l’insigne dignité de Marie comme Mère de Dieu et à son insigne situation et mission dans l’histoire du salut). « En effet, le culte religieux trouve naturellement son fondement et sa mesure dans la sainteté et la dignité de la personne qui est en l’objet ».
III. 3. La dévotion à la Vierge Marie
Reste la question de la dévotion à la Vierge Marie, et c’est ici le point ou la vénération se fait invocation et l’invocation prière adressée à Dieu par l’intercession de Marie (et aussi aux saints). Ici, il y a un glissement sémantique à bien préciser car la Mère du Seigneur, invoquée par l’orthodoxie et l’Église Catholique, est déjà évoquée par toutes les Églises en raisons de sa présence dans la Bible et dans les Symboles de foi. Les catholiques savent, qu’en rigueur de terme, toute prière et toute louange ne sauraient s’adresser qu’à Dieu seul, plus précisément encore au Père par le Fils dans l’Esprit. Le catholique n’a recours à Marie et aux saints que pour leur demander leur propre intercession auprès de Dieu, non qu’elle soit plus efficace, mais simplement pour entrer avec eux dans la grande intercession qui est comme le partage incessant de la solidarité entre croyants, que même la mort ne saurait arrêter. L’intercession est aussi la conversation éternelle des fidèles avec leur Dieu dans leur souci les uns des autres. C’est dans cette limite que le catholique pourra légitimement s’adresser à Marie ou aux saints, comme il fait dans l’Angélus ou le Chapelet, demandant simplement à Marie de prier pour lui.
La louange pour Marie, correspond à l’invitation du Magnificat : « Toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1, 48) et précisons ici, que cette louange et cette vénération sont présentes chez les grands Réformateurs (Cf. Document du groupe de Dombes) , en particulier chez M. Luther, U. Zwingli, et avec certaines réserves chez Calvin. Même si on doit reconnaître, que M. Luther réagissait vigoureusement devant les excès et les déformations du culte marial dans l’Église catholique de son temps : « Je voudrais qu’on évacue totalement le culte de Marie, seulement à cause de l’abus qu’on en fait » (dixit M. Luther, Sermon sur l’Ave Maria, 1532). Ainsi les grands Réformateurs vénèrent la Vierge Marie. Sous le terme « vénération » , on peut comprendre l’honneur, la louange, tels notamment que les passages bibliques de l’annonciation et de la visitation les suggèrent, les autorisent, voire y invitent. Il s’agit de louer Dieu pour et avec Marie, de saluer en elle l’œuvre de Dieu et de rendre grâce à Dieu pour son exemplaire réponse. C’est ce que dit la seconde partie de l’Ave Maria, d’origine ecclésiale : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous ». En février 1974, dans la suite du Concile Vatican II, le Pape Paul VI a publier l’exhortation apostolique « Marialis Cultus » entièrement consacré à la place que tient la Vierge Marie dans le culte public de l’Église et la dévotion privée des fidèles. Aux notations qui se dégagent de la considération des rapport de la Vierge Marie avec Dieu, Père, Fils et Esprit, et avec l’Église, il faut ajouter toujours en suivant la ligne de l’enseignement conciliaire, quelques orientations biblique, liturgique, œcuménique, anthropologique, qu’il convient d’avoir présentes à l’esprit dans la révision et la création d’exercices et de pratiques de piété, afin de rendre plus vivant et plus intelligent le lien qui nous unit à la Mère du Christ et notre Mère dans la communion des saints. Que les fidèles se souviennent qu’une véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité, pas plus que dans une vaine crédulité ; la vraie dévotion procède de la vraie foi, qui nous conduit à reconnaître la dignité éminente de la Mère de Dieu, et nous pousse à aimer cette Mère d’un amour filial, et à poursuivre l’imitation de ses vertus.
En conclusion
Le théologien H. U. von Balthasar a présenté le Christ dans son esthétique théologique comme la beauté de la Révélation. En Jésus la beauté de Dieu apparaisse dans l'homme et la beauté de l'homme trouvée en Dieu. La figure du Christ transmise par l'Écriture et l'Église, qui irradie la beauté, est une œuvre d'art de Dieu. Nous pouvons affirmer, sans sourciller de manière analoguée que Marie est l’exemplarité de cette beauté pour nous les hommes. Nous savons très bien que la conviction profonde qu’entraîne une véritable œuvre d’art est absolument irréfutable, elle contraint même le cœur le plus hostile à se soumettre… on ne peut résister à la contemplation du beau. Ainsi perçu la beauté attire… Marie est l’œuvre d’art de Dieu, paradigme de notre humanité… La vie de Marie a donc une signification à forte densité anthropologique qui consiste dans sa capacité représentative concrète de l'homme et de son destin d'après le plan de Dieu. Si le Christ est l'homme nouveau, le modèle transcendant de toute perfection humaine, ce n'est toutefois qu'en Marie, personne humaine et seulement humaine qu'il est possible de découvrir : « tout ce que la grâce pouvait faire de la créature, de l'humanité en la laissant pourtant à son ordre créé ». Marie est « la plus haute révélation des possibilités offertes à l'humanité par la grâce divine... la reprise totale de la créature en Dieu... la créature qui réalise le plus parfaitement l'image divine » (L. Bouyer). Le mystère de l'homme s'illumine dans la confrontation avec la Mère du Seigneur telle qu'elle est présentée dans l'Évangile : « Quand nous célébrons Marie, nous pouvons dire que nous célébrons une manière chrétienne de comprendre notre propre existence... nous célébrons et proclamons l'idée chrétienne de l'homme » (K. Rahner). La position unique et décisive de Marie dans l'histoire du salut est donnée par son attitude spirituelle et corporelle face au Christ dans son oui total.
Pour écrire cette réflexion, il nous a fallu jeter un coup d’œil dans de nombreux documents ecclésiaux, ainsi qu’une quantité d’articles et de livres, sur Marie. Nous avons été frappé par la diversité d’opinions concernant la place que la Vierge Marie devrait occuper dans l’Église et dans la vie des chrétiens. Quand les personnes qui tiennent à l’une ou l’autre de ces opinions sont ouvertes et s’expriment avec une discrétion, alors la diversité devient source de richesse et d’équilibre. En revanche, quand ces personnes se replient sur elles-mêmes, la diversité devient source de conflit, non seulement entre les différentes communautés chrétiennes, mais aussi à l’intérieur de chacune d’elles. Obligé de naviguer dans des eaux plus troublées que nous avons imaginé, nous nous sommes demandé à maintes reprises comment nous allions garder le cap. En effet, il n’est pas toujours facile de se retrouver dans une Église ou certains veulent à tout prix que Marie soit officiellement déclarée comme « co-rédemptrice, avocate, médiatrice » et où d’autres considèrent les expressions les plus modérées de vénération à son égard comme abusives, parlant parfois même de « mariolâtrie ». Alors, en résumé, nous avons cherché une formule qui exprimerait l’essentiel de la foi de l’Église catholique au sujet de Marie. Marie est la seule personne que le Fils de Dieu appelle Mère… Que devons-nous encore ajouter ? Que devons-nous encore dire de plus ou de moins ? À chacun de réfléchir sur les implications que ce simple constat peut avoir pour sa vie. Simplement, il ne faut jamais oublier que la grandeur de Marie dépend entièrement de cette relation privilégiée, et unique, qu’elle a vécue, et continue de vivre, avec celui qui seul est le Seigneur…
Grégoire Marie KIFUAYI, sdb |