Salésiens de Don Bosco - Afrique Tropicale Equatoriale

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SDB ATE 2005-2006

« L’accueil de l’étranger et du réfugié:
un rendez-vous de la foi »


Les migrations font partie de l’histoire des peuples. Depuis la nuit des temps, les hommes n’ont cessé de circuler, de se déplacer, de se mélanger… Ils quittaient leur terre natale, quelques fois pour chercher aventure, gloire, profit ; le plus souvent pour échapper à la misère, à la guerre ou à l’oppression. Ils ignoraient les frontières et franchissaient mers et montagnes afin de trouver de nouvelles terres, de nouvelles possibilités de travail et parfois la liberté… De combien d’exodes l’histoire du monde n’est-elle pas faite ?
Ces migrations ont été très souvent vécues douloureusement, tant par ceux qui « partaient » que par ceux qui « accueillaient ». Toujours, l’étranger, l’autre, celui qui est étrange a souvent été source de peurs, objet de rejet, voire de mépris. Il ne parlait pas la même langue, il n’avait pas la même façon de se vêtir, d’élever ses enfants… ou de prier. Par sa seule présence, il menaçait celui chez qui il venait chercher vie ou refuge et qui bien souvent se demandait pourquoi faire place à cet homme venu d’ailleurs. Si un monde sans migrations n’a jamais existé… l’immigration a toujours été vécue en tension, le conflit et parfois l’affrontement violent… à travers découverte et souffrance pour les uns comme pour les autres.

Il n’est pas question ici de traiter de manière exhaustive de la place de l’étranger dans la tradition biblique et dans la spiritualité ecclésiale. Il s’agit dans les limites de ce document d’indiquer quelques points de repères manifestant quelle est la source à laquelle fait donc appel les chrétiens lorsqu’à temps et à contre temps ils interviennent sur l’accueil de l’étranger et sur le statut qui lui est réservé.
Déjà dans l’Ancien Testament, la mémoire du peuple d’Israël est marquée par l’immigration. Israël est un peuple qui, à maintes reprises, a fait l’expérience de la condition d’étranger. Il nous faut aujourd’hui lire ce que Dieu veut nous dire à travers la figure de l’étranger. On évoque deux périodes charnières de l’histoire d’Israël : « la servitude en Égypte et le temps de l’Exil ». Mais dès Abraham la naissance de ce peuple est décrite sous le signe d’une immigration (Gn 12, 1-2). L’immigré Abraham, figure du croyant, rappelle qu’un nouveau peuple est promis par Dieu. Plus tard les fils d’Israël, émigrés en Egypte à cause de la famine qui sévissait au pays où ils demeuraient, vont faire la dure expérience de la servitude liée à la condition d’immigrés. Et la marche, marche de sortie de ce peuple vers la terre promise, sera aussi un temps d’épreuve et d’exclusion… Une fois installée sur cette terre, jamais la condition d’étranger ne s’effacera de la mémoire du peuple. Cette mémoire immigrée, marquée fortement dans l’Alliance de Dieu avec son peuple, inspirera à la Torah ses plus beaux appel au respect absolu de l’étranger au sein du peuple : « Si un étranger vient habiter dans votre pays, vous ne l’opprimerez pas. Vous traiterez l’étranger qui est au milieu de vous comme un homme du pays. Tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été, vous aussi, des étrangers dans le pays d’Égypte » (Lv 19, 33-34).
Dans le mouvement de migrations qui a marqué le peuple d’Israël de l’Exode à l’Exil, la confrontation avec les étrangers fut souvent rude. Il n’y a pas de rencontre de l’étranger sans une certaine violence. Mais la tradition israélite est ponctuée aussi de rencontres avec des personnes étrangères ; « elles sont autant de hauts lieux de la révélation de Dieu » à son peuple (Gn 14, 17-20 ; Gn 18, 1-10 ; Gn 32, 23-32). Ainsi, à certaines étapes de l’histoire d’Israël, la rencontre de l’étranger remplit une fonction essentielle. L’échange qui s’amorce dans la reconnaissance de l’altérité entraîne pour Israël, un approfondissement de la conscience de sa propre identité et de sa relation avec Dieu. « La rencontre de l’autre, de l’étranger, donne tout son sens à l’Alliance : elle est pour toute l’humanité ».

Dans le Nouveau Testament, avec la médiation de la personne du Christ, le nouveau sens de l’histoire humaine entrevu et annoncé dans l’Ancien Testament et en particulier par les Prophètes se réalise. « La mission médiatrice du Christ introduit l’humanité tout entière, sans distinction de races ni de cultures, dans une nouveauté radicale : celle d’une communion dans l’amour universel du Père grâce à la foi en son Fils Jésus ». Celui-ci vient ainsi accomplir l’unique médiation (1 Tm 2, 5) qui peut faire de tout étranger un véritable frère à aimer. Grâce à cette médiation du Christ, accomplie dans sa mort et sa résurrection, il n’y a plus de fatalité, de la haine de l’étranger. Le mur de la séparation est tombé. Quelles que soient leurs origines culturelles, qu’ils soifs juifs, grecs ou romains, tous les hommes sont appelés à devenir membres de la famille de Dieu (1 Co 12, 12)
La nouveauté de la médiation du Christ met en question les frontières qui tiennent les hommes et les femmes exclus du peuple, qui les maintiennent dans leur statut d’étrangers. Jésus, durant sa vie terrestre, est peu sorti des frontières d’Israël. Mais toute sa mission s’inscrit, à l’intérieur même de ces frontières, dans une dynamique de « mise en route » (voir Luc), de « sortie » (voir Marc). La nouvelle communion qu’il annonce l’entraîne, constamment, vers ceux qui ne font pas partie de la société. Ceux qui ne sont pas intégrés, ceux qu’il est interdit de fréquenter. C’est la force de l’Amour même du Père en lui qui le pousse à passer toute distance dans une inlassable recherche de la « brebis perdue ». Ce mouvement appelle toujours une double conversion pour l’étranger comme pour le peuple. À l’étranger qui est rejoint est demandée une véritable confiance pour accueillir la puissance de communion manifestée en Jésus Christ ; le peuple, quant à lui, est invité à s’ouvrir à ses nouveaux frères et à dépasser l’apparente sécurité de ses anciennes frontières. À l’un et à l’autre, la joie est promise comme fruit de la conversion (Lc 18, 10). Et cette joie est elle-même annonciation des temps nouveaux, où il n’y a plus « d’étrangers, ni d’émigrés » mais où tous sont appelés à devenir « concitoyens des saints », « de la famille de Dieu ». Dans le Royaume inauguré par le Christ, la notion d’étranger est appelée à disparaître.

« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… » (Mt 25, 43) : c’est pourquoi l’accueil et la solidarité avec l’étranger ne sont pas seulement un devoir moral d’hospitalité, c’est une exigence de la fidélité au Christ. L’identité des chrétiens y est engagée, car « l’Évangile fait de l’étranger un sacrement vivant du Christ ». « L’accueil de l’étranger et du réfugié devient un rendez-vous de la foi ». La solidarité ne sera pas une question de compassion mais de justice, elle n’est pas une question économique mais éthique. Bien plus, pour la vivre intensément et sans défaillance, il faut la nourrir de la vision biblique qui saisit la famille humaine dans une unité foncière, où tous sont égaux et également aimés de Dieu. À notre époque où tout devient « un défi, un challenge », ce n’est certes pas abuser de ce mot que de l’attribuer au phénomène massif et déconcertant des migrants et des réfugiés. Défi même gigantesque car il ne fait que révéler les contradiction dans lesquelles se débat la société entière et de façon prégnante aussi dans nos communautés chrétiennes et religieuses…

Mais ce défi est aussi vieux que le monde : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (Gn 4, 8-11). Telle est la toute première question lancée à l’humanité au début de son aventure spirituelle et humaine. Selon E. Levinas, la transcendance du visage d’autrui engage mon rapport éthique, ma responsabilité inconditionnelle. Cependant, face à la vulnérabilité de l’autrui, par le visage, la première idée qui se développe entre autrui et moi est-elle le respect, ou justement la possibilité du meurtre ou du rejet ? Cet incident le plus banal de l’histoire humaine prétend à la négation totale de l’autre. « Qu’as-tu fait de ton frère ? » : Question plus actuelle mais aussi complexe. Question à laquelle l’homme, depuis Caïn, à toujours chercher à se dérober… mais la vie chrétienne est destinée à faire exister, à faire retentir obstinément cette question et à ouvrir des chemins de réponse : faire de ceux qui sont étrangers des voisins, de ceux qui sont éloignés des amis, et pour ouvrir un espace dans le monde à la paix du Christ (Ep 2, 11-22)

Père Grégoire Marie KIFUAYI
Testaccio-Rome
kifgrema@yahoo.fr